Un petit tailleur de pierre vivait paisiblement au pied d’une grande montagne dont il détachait des morceaux de rocher pour construire des maisons.

Il était satisfait de son sort.

Jusqu’au jour où…

Il se rendit chez un riche seigneur des environs pour honorer une commande.

Il découvrit alors les merveilles d’une vie de luxe et d’abondance :

somptueuse demeure, habits de soie, mets raffinés, gracieuses concubines, etc.

À partir de ce moment, les splendeurs qu’il aperçut l’empêchèrent de dormir.

Sa vie lui apparut désormais sans joie.

« Ah si j’étais riche, se lamenta-t-il, comme je serais heureux ! »

Le génie de la montagne entendit sa plainte :
« Ton vœu a été entendu, tailleur de pierre, sois donc riche et sois donc heureux ! »
 Aussitôt dit, aussitôt fait.
Riche marchand il devint et il fut satisfait de son sort. Jusqu’au jour où…
Il vit passer le roi dans son palanquin d’or, chacun se courbant sur son passage.
Que valaient donc ses richesses à côté du pouvoir d’un roi et de l’admiration que tous lui vouaient ?
« Ah si j’étais roi, soupira-t-il, comme je serais heureux ! »

Et le génie de la montagne entendit sa plainte : 

« Ton vœu a été entendu, marchand, sois donc roi et sois donc heureux ! » 

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Roi vénéré il devint et il fut satisfait de son sort.

Jusqu’au jour où…

il advint que le soleil imposa sur le pays ses rayons ardents et impitoyables.

Tout roi qu’il était, il ne pouvait se protéger de la chaleur et s’opposer au pouvoir de ce maître du ciel.

Dépité, il s’exclama :

« À quoi servent trône et richesses, si le soleil est plus puissant que moi ! Ah si j’étais soleil, comme je serais heureux ! »

À nouveau le génie de la montagne entendit sa plainte: « Ton vœu a été entendu, roi, sois donc soleil et sois donc heureux ! » 

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Soleil tout puissant il devint. Il darda ses rayons sur tout ce qui vivait :

riches et pauvres, faibles et puissants, plantes et animaux.

Tous étaient soumis à son pouvoir et tous se desséchaient. Et il fut satisfait de son sort. Jusqu’au jour où… il vit que la montagne, elle, se dressait toujours. Immuable.

En colère, il s’écria :

« À quoi sert la puissance si l’on peut me résister ?

Ah, si j’étais la montagne, comme je serais heureux ! » Encore, le génie de la montagne entendit sa plainte : 

« Ton vœu a été entendu, soleil, sois donc montagne et sois donc heureux ! »

 Aussitôt dit, aussitôt fait.

Montagne immortelle il devint.

Et il fut satisfait de son sort, jusqu’au jour où…

Il sentit quelque chose lui démanger le pied.

Et c’est alors qu’il vit, là en bas, tout en bas, un tout petit tailleur de pierre occupé à détacher des morceaux de rocher pour construire les maisons…

J. Quoidbach